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De l’utilité des critères anthropométriques pour dépister la sarcopénie chez les patients âgés souffrant de cancer

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Les sujets âgés sont à risque élevé de sarcopénie, a fortiori s’ils sont atteints d’un cancer. L’évaluation de la sarcopénie est d’autant plus importante chez ces patients qu’elle a été associée de manière significative à un pronostic plus défavorable, à un risque élevé de complications postopératoires, à un séjour hospitalier prolongé et à une plus grande chimio-toxicité. La prévalence de la sarcopénie chez les sujets atteints d’un cancer varie selon le type et le stade du cancer, les critères diagnostiques et les méthodes d’évaluation de la dite sarcopénie.

Le groupe de travail européen sur la sarcopénie chez les personnes âgées (EWGSOP2) a récemment proposé une définition opérationnelle de la sarcopénie basée sur un algorithme clinique progressif pour le dépistage (SARS-F ou suspicion clinique), l'évaluation (de la force musculaire), la confirmation diagnostique (mesure de la masse musculaire) et l’appréciation de la gravité (performance physique). Cependant, les méthodes de mesure de la masse musculaire recommandées par ce comité, à savoir l’absorptiométrie biénergétique à rayons X et l’impédance bioélectrique, ne sont pas toujours disponibles. La circonférence du bras (CB) a été suggérée comme un indice alternatif de la masse musculaire pour l'identification de la sarcopénie mais sa valeur prédictive de la mortalité n’a pas été évaluée.

Un groupe de chercheurs français a récemment publié les résultats d’une étude prospective portant sur des sujets âgés atteints d’un cancer et dont les objectifs étaient :

  • D’évaluer la prévalence des quatre critères EWGSOP2 [score au SARC-F (strength, assistance with walking, rising from a chair, climbing stairs, and falls), force de préhension (FP), circonférence du bras (CB), et performance physique (PP)].
  • D’estimer la prévalence de la sarcopénie et de la sarcopénie sévère, en utilisant une mesure anthropométrique de substitution de la masse musculaire (CB).
  • D’évaluer les capacités respectives du SARC-F, de la FP, de la CB, de la sarcopénie et de la sarcopénie sévère à prédire la mortalité à 6 mois, dans la population dans son ensemble et dans les sous-populations définies par l'algorithme de l'EWGSOP2.


Données issues de l’enquête nationale NutriAgeCancer

Pour ce faire, les données issues de l’enquête nationale française NutriAgeCancer portant sur des patients âgés de 70 ans ou plus, ayant bénéficié d’une évaluation gériatrique avant un traitement anticancéreux, ont été analysées. Les seuils retenus pour cette étude étaient : score SARC-F anormal ≥4 , FP faible < 27 kg chez l’homme et <16 kg chez la femme, CB faible < 26 cm chez l’homme et < 25 cm chez la femme, PP faible (évaluée par un test TUG ≥ 20 sec ou l’incapacité à réaliser la test). La sarcopénie probable a été définie par une faible FP, la sarcopénie par une faible FP + une faible CB, la sarcopénie sévère par une faible FP + une faible CB + une faible PP.

Après ajustement pour les facteurs confondants [âge ≥ 85 ans, localisation du cancer, statut métastatique, type de traitement (curatif, palliatif ou de soutien), IMC faible, perte de poids de plus 5 % au cours des 6 derniers mois, etc.], une analyse des risques proportionnels de Cox pour chaque critère séparément et pour tous les critères combinés, a été réalisée.

Une prévalence de la sarcopénie estimée à 24,5 %

Au total, 781 patients (âge moyen : 83,1 ans, femmes : 53 %) suivis dans 41 cliniques d’oncologie gériatrique ont été inclus dans l’étude. Leurs principales localisations de cancer étaient digestives (29 %) et mammaires (17 %). Près de la moitié des cas de cancer (42 %) étaient métastatiques. Une forte proportion de patients (87 %) présentait un risque de fragilité (score G-8 ≤14). Près de la moitié des patients (47 %) avaient perdu plus de 5 % de leur poids corporel au cours des six derniers mois. Des troubles cognitifs et un risque de dépression étaient présents chez environ 40 % des patients.

La prévalence des quatre paramètres suscités était, respectivement, de 35,5%, 44,6%, 44,7%, 35,2%, avec une association significative entre eux. La majorité des patients (605/781 soit 77,5 %) avait au moins un paramètre anormal. La sarcopénie, définie par une faible FP et une faible CB concernait 191 patients (24,5 %) parmi lesquels 91 souffraient de sarcopénie sévère (soit 11,7 % de la population de l’étude), ce qui se rapproche des données de précédentes études qui se sont focalisées sur les sujets âgés cancéreux. La prévalence de la sarcopénie n’était pas impactée par le statut métastatique.

Les critères définis sont prédictifs d’une mortalité à 6 mois

La survie globale à 6 mois était de 23,8 % avec des taux de survie significativement plus faibles pour les patients ayant des scores anormaux (SARC-F) ou faibles (FP, CB, PP) (p < 0,006). En analyse multivariée, le questionnaire SARC-F, la FP et la PP étaient associés de façon indépendante à une mortalité à 6 mois dans la population totale de l’étude.

Une variable composite incluant le SARC-F dans la définition consensuelle de la sarcopénie a été créée. Lors de l’analyse, les patients avec un SARC-F anormal et/ou une force de préhension faible, ceux avec une sarcopénie et ceux avec une sarcopénie sévère avaient un risque de mortalité à 6 mois plus élevé que les patients avec un SARC-F et une FP normaux (p<0,003).

Lorsque les patients étaient stratifiés en fonction du statut métastatique, ces associations n’étaient plus valables que pour les patients métastatiques, population pour laquelle les critères prédictifs d’une mortalité à 6 mois étaient un questionnaire SARC-F anormal et/ou une faible force de préhension, la sarcopénie et la sarcopénie sévère (HR ajusté [IC 95 %] : 2,72 [1,34–5,49], 3,16 [1,48–6,75] et 6,41 [2,5–16,5], respectivement).

En utilisant les données de la vaste enquête nationale NutriAgeCancer, ces auteurs français sont les premiers à fournir une description détaillée des différents critères impliqués dans la définition consensuelle de la sarcopénie de l’EWGSOP2 dans une population de sujet âgés atteints de cancer. Malgré des limites (biais de sélection probable, absence de mesure directe de la masse musculaire), cette étude montre que la mesure anthropométrique de la sarcopénie est fortement prédictive de la mortalité à 6 mois chez les patients métastatiques. Le dépistage de la sarcopénie par des méthodes alternatives (anthropométriques) pourrait donc être utile lorsque des mesures précises de la masse musculaire ne sont pas disponibles mais la question des traitements reste quant à elle toute entière …


Publication réalisée en collaboration avec l’entreprise Nutricia

Dr Dounia Hamdi


Martinez-Tapia C, et coll. Prevalence of Four Sarcopenia Criteria in Older Patients with Cancer, and Their Predictive Value for 6-Month Mortality: The NutriAgeCancer National Prospective Cohort Study. Nutrients. 2023 Mar 21;15(6):1508. doi: 10.3390/nu15061508.